XX
Conception Julie Nioche
CREATION 2002
Durée: 45 min.
Conception Julie Nioche
Interprétation Julie Nioche, Barbara Manzetti, Alice Daquet
Avec la collaboration de Solenn Camus, Sylvain Giraudeau, Gabrielle Mallet,
Rachid Ouramdane, Christian Rizzo
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Photographies visibles via l’onglet en haut à droite de cette page
L’investissement porté au corps paraît refléter le rapport vécu avec le monde.
Le sentiment de posséder un corps indemne ne va pas absolument de soi, nous n’en avons pas une impression toute faite. Se construire une image du corps, c’est donner forme à un matériau des plus imprécis. Nous la construisons et la déconstruisons perpétuellement. Chaque mouvement peut être considéré comme une série d’images internes en devenir. Désintégrer et rassembler le corps en images. Il s’agit de se situer dans ce paradoxe du corps : objet de communication et de renfermement à la fois. Il s’agit de jouer avec les multiples images associées à celle de notre corps visible.
Julie Nioche
Partenaires
Production
Association Fin novembre
Avec le soutien
du CCN de Montpellier (programme ReRc)
et du Manège de Reims - Scène nationale
Le projet X - par Julie Nioche
Août 2000
Quelle(s) image(s) avons-nous de notre propre corps ?
Existe t-il UNE image objective de notre corps ?
Quelle image choisissons-nous finalement pour être là ?
Comment travaillons-nous à sa fabrication ?
Le sentiment de posséder un corps indemne ne va absolument pas de soi.
Nous n’avons pas d’impression toute faite de notre corps.
Construire une image du corps c’est donner forme à un matériau des plus imprécis.
De quand date la première image de notre propre corps ?
La conscience du corps n’est pas innée, elle s’acquiert.
Il faut accéder à une sensation de rassemblement interne,
à une image globale du corps pour pouvoir être en « relation à ».
L’acquisition de l’image de soi ne peut se faire que par la médiation de l’image et du regard de l’autre.
Un des moyens pour ressentir cette intégrité corporelle :
La mise en mouvement.
La danse peut être définie comme une construction, déconstruction et reconstruction de l’image du corps :
Un travail pour le désintégrer et le rassembler, sans cesse.
Chaque mouvement est alors une série d’images internes en devenir.
La danse serait un moyen de savoir que notre corps nous appartient bien ; jusque dans ses débordements.
La vision de son propre corps est obligatoirement subjective. Que peut donc alors signifier : « Avoir une image du corps altérée » ? Trahit-elle une vision faussée?
L’investissement porté au corps témoigne du rapport vécu avec le monde.
La danse n’est-elle pas un jeu de transformation de l’image du corps ?
Danser, n’est-ce pas jouer avec des faux corps inventés à partir du corps présent ?
Septembre 2000
Je mets en place un dispositif photographique qui est surtout un prétexte pour poser quelques questions sur l’image qu’ont les gens de leur propre corps.
Rencontre avec 6 spectateurs lors de l’ouverture de saison de la scène nationale de Reims. Ils représentent pour moi une population ayant un rapport coutumier avec leur corps.
J’entends :
« Si mon image me préoccupe ?… Oui… Mais en ce sens que ; c’est pas tant pour les autres que pour moi-même.
C’est l’état dans lequel je me sens bien ; que je vais travailler pour, évidemment, les autres mais surtout pour que moi, je sois bien avec les autres. »
« Au bout du compte, j’arrive à me satisfaire moi-même de ce que j’ai décidé d’être. »
« On est toujours préoccupé par son image d’ensemble, à tout âge, je pense ; et même plus on vieillit plus on est préoccupé par son image car le temps n’améliore pas votre image. »
Novembre 2000
Rencontre avec 6 jeunes danseurs du junior ballet du CNSM de Paris, mon lieu de formation.
Population témoin pour qui le corps est l’instrument privilégié d’investigation et de communication.
Leur corps est en train de devenir leur outil de travail et est encore cible des projections de leurs « maîtres » et de leur vision idéalisée du danseur. Ils sont dans le trouble d’avoir un corps qui ne leur correspond pas encore exactement ; d’avoir un corps qui serait plutôt le résultat d’images imprégnées par leur éducation.
Ils se savent dans un métier de l’image et désirent défendre l’idée qu’ils investissent beaucoup plus.
J’expose leurs portraits photographiques et sonores lors des représentations annuelles.
J’entends :
« Mon image, la mienne. Oui c’est clair, elle me préoccupe. C’est sûrement à cause de la danse d’une part et puis parce que je pense qu’on a besoin de plaire aux autres pour se sentir mieux dans sa peau, pour mieux s’aimer. »
« C’est vrai que c’est au travers de l’image que je veux faire passer des sensations. Oui, c’est sûr. »
« Non je ne pense pas que ce soit mon image qui soit importante. Je ne pense pas que ce soit ce qui va compter le plus en fait, l’image qu’il y a.
Je pense qu’à partir du moment où l’on est sûre de ce qu’on veut être et ce qu’on veut faire, l’image, elle n’a plus trop d’importance. Je pense que les autres ils voient ce qu’on est…Enfin pas...Si je pense quand même, sauf les moments de doute où on remet en question beaucoup plus notre image. »
« Je pense que c’est vraiment la danse qui m’a fait complexer à propos de ma poitrine. Je suis prête à me faire opérer, mais je me dis que si je maigris je vais perdre de la poitrine et que ça ira. Donc j’attends toujours de maigrir et de voir après ce qu’il en adviendra. »
« Je pense qu’en maîtrisant son corps, en contrôlant le plus possible ses sensations, on peut dire encore plus de choses avec son corps. »
Décembre 2000
Afin de révéler les troubles que peut entraîner « l’image du corps » à certains moments de la vie, je me suis confrontée à un extrême.
J’ai travaillé avec des personnes ayant une perception corporelle altérée par la maladie. Je me suis tournée vers les troubles du comportement alimentaire et plus spécifiquement vers l’anorexie que j’ai souvent rencontrée sur mon parcours de danseuse.
La souffrance des patientes atteintes d’anorexie mentale est visible sur leur corps qui est devenu l’objet de toutes les contraintes et de tous les défis. Elles font du corps un lieu de protestation et de dénonciation.
Il semble que l’anorexique ne se saisit d’elle-même et de son corps que comme « objet » qu’elle prive en espérant qu’il se mette à produire du désir et non du besoin. Elle considère son corps comme un objet qui, comme tous les objets, est voué à la consommation, voué à la disparition. Cet ordre des choses est de plus en plus accru dans nos sociétés de consommation où la disponibilité est sans cesse augmentée, où tout est accessible.
Les anorexiques vont jusqu’à s’interdire toutes sensations et s’imposent une maîtrise totale de leur corps qui les embarrasse.
Janvier 2001
Rencontre avec une association de soutien aux personnes souffrants de troubles du comportement alimentaire ( anorexiques et boulimiques).
Suite à plusieurs mois de recherches, je considère l’anorexie mentale comme une maladie imposant une résolution dans « l’agir » et non pas uniquement dans l’acte de parole.
C’est dans cette perspective que j’ai élaboré mon projet d’atelier de danse à visée thérapeutique dans un Centre Hospitalier Universitaire auprès de jeunes femmes atteintes de cette pathologie. J’ai utilisé la danse et la photographie pour approcher progressivement la question de l’image du corps.
Je ne rencontre que des femmes qui me témoignent de leur mal-être par leur corps.
J’entends :
“Il me plaît de ressentir quelque chose dans ce corps.
Je pense que mon corps n’est pas du tout la traduction de ce que je suis…Je serais du coton quoi, enfin quelque chose de doux. Du coton, du velours, du ... enfin quelque chose de… et mon corps représente tout ce qu’il y a de saillant. Mon corps fait mal. Mon corps frappe. J’aimerais être une femme...”
Avril 2001
Je réunis quelques paroles qui s’entrechoqueront avec celles des spectateurs et des danseurs.
J’entends :
« Je ne me sens pas, je n’habite pas mon corps, j’ai peut-être un espace privé dans ma tête mais pas dans mon corps, là je ne peux pas dire « je ».
Quand je m’observe dans la glace, je ne me reconnais pas, ça n’est pas cohérent, c’est faux, il y a trop de chose en trop qui ne sont pas à moi. »
« Quelquefois quand je pense à moi, j’ai l’impression d’être virtuelle… d’avoir ma tête, mon esprit, mon intellect… Mais si on m’enlève tout ça ; il n’y a plus rien. »
« Si je me lève le matin, que j’ai faim et que j’ai mal toute la journée, je suis très bien. Si je vois que ça va être de l’agression et que je vais manger ; ma pensée va inhiber tout ce que mon corps va me dire. Parce que je vais complètement penser à essayer de faire taire mon corps au maximum. »
Juin 2001
Etre d’abord un corps et d’autre choses
Un corps fait de traces Mémoire de chair
Corps avec un « S » Invisible corps pluriel
Ou / corps unique pour apparences multiples.
Petits arrangements internes avec la surface
Zone d’indécision
Sans prévision pour ne pas avoir à accepter le changement.
Fabrication d’un corps qui fabrique / Retour
Gratter Creuser Eplucher Récurer Arracher
Couche après couche
Surface de glace sur liquide sanguin
Retour sur l’identique identitaire.
A Vous / Devenir
Surface de projection pour corps-filtre.
Etre le sein d’une sorcière avant de renaître.
Rester sur sa faim pour toujours en vouloir plus.
Laisser la risée effacer la lumière.
Juillet 2001
Je questionne ma pratique de danse en regard de tous ces troubles témoignés.
J’ai la sensation que tout ce qui est à l’origine de ces troubles est ce avec quoi je ne cesse de jouer.
A avoir tant appris à connaître les limites du corps, je ne fais que les manipuler et les rendre floues.
J’utilise l’improvisation pour faire résonner simultanément les informations venant de l’intérieur et de l’extérieur. Ce serait tenter de rendre le corps tout à la fois réceptif et réflexif.
Comment alors établir les limites du corps ?
Août 2001
L’installation "X" confronte les paroles de toutes ces personnes se questionnant sur le rapport qu’ils entretiennent avec leur propre l’image.
J’ai décidé d’être dans une démarche artistique plutôt que sociologique ou psychologique pour restituer tous ces témoignages.
J’ai imaginé une installation visuelle et sonore qui interroge l’image du corps et propose une lecture de celle-ci plus floue. "X" est un environnement propice à une « écoute corporelle » de ces différentes paroles.
Avril 2002
La collaboration avec Barbara MANZETTI est une tentative pour donner une version « incarnée » de cette recherche.
Le projet chorégraphique « XX » naît de nos recherches de construction et déconstruction de nos corps en jouant des codes de la représentation.
C’est par l’intermédiaire « d’objets-prothèses » élaborés avec Solenn CAMUS que nous avons approché par un autre biais, les questions soulevées par l’anorexique à propos de la limite du « corps matériel ».
La délimitation du corps semble indispensable mais provoque aussi, une sensation d’enfermement. Les prothèses physiques et psychiques sont des supports pour délimiter ce corps débordant d’ambiguïtés.
Comment vivre avec malgré leur restrictions, voire réussir à les aimer… ?
« XX » se situe dans ce paradoxe du corps : objet de communication et de renfermement à la fois.
Avril 2004
Ce qui est visible à la surface de notre corps est un témoignage de notre singularité qui semble parfois bien peu comparé à la multiplicité de notre personnalité.
Comment faire transpirer l’ambivalence de l’être à la surface ?
Comment faire apparaître tout ce qui échappe au corps ?
J’invite Alice Daquet, chanteuse et musicienne pour investir la voix dans des transformations en direct qui accompagnent les modulations des présences scéniques. Nous jouons toutes les trois des apparences de nos corps et des ambiguïtés qu’ils peuvent faire naître dans ce qui nous dépasse. Nous improvisons les multiples « images associées » à celles de nos corps visibles.
C’est cette dimension invisible du corps que nous essayons de convoquer dans XX with Alice.
Avec l’aide de Gabrielle MALLET, kinésithérapeute, j’appronfondie le rapport à l’objet-prothèse en travaillant un matériau thermoformable habituellement utilisé en cas de fracture.
À travers ces « objets de beauté et de réparation » du corps, je tente d’être à cet endroit où l’attraction a autant de puissance que la répulsion ; d’être à la frontière d’un corps devenu « magique ».