Matter - Presse
Excellente surprise ce Matter mis en scène par Julie Nioche. En moins d’une heure, la chorégraphe impose une danse fulgurante, nerveuse, électrique, sur un plateau qui peu à peu se remplit d’eau noire.[...]Figures soumises au début de la représentation, les quatre interprètes terminent le spectacle par une danse jubilatoire sous un torrent de pluie. Comme si cette lutte avec l’élément eau avait fini de les libérer de leur peur, comme si la danse au fond avait triomphé des contraintes qui menaçaient son existence même. Un grand, grand spectacle de Julie Nioche.
Une à une chacune des danseuses, geste après geste, se dépouille ou plutôt se fait dépouiller par l’eau. Ce n’est pas un déshabillage, mais bien une mise à nu, au sens propre, avec la tension érotique inhérente. Mais c’est surtout l’image de la mue et de la vulnérabilité qui s’impose.
Carcan. Aux quatre solos succède une partition, avec à chaque fois le rituel du rhabillage et du réajustement de la tenue vouée à disparaitre. Comment se défaire de ce carcan ? Chacune à sa façon, mais ensemble, répond, dans sa dernière partie, Matter.C’est à la fois très simple et très beau.
La surprise et la réussite de Matter résident dans son statut rare d’objet plastique vivant. Non seulement les costumes se dissolvent mais le sol se dilue en un tableau mouvant. Blanc au départ, il prend imperceptiblement l’eau par plaques, puis se couvre d’une encre noire dessinant des floraisons étranges dans lesquelles la petite robe se salit. L’inondation transforme le plateau en piscine-patinoire. Tout est ici mis en œuvre par Julie Nioche pour retrouver un corps de sensations brutes, instinctives, singulières à chacune des danseuses.
Voilà une proposition spectaculaire aboutie, franche, radicale, honnête et d’une beauté immense. [...] A mesure que le spectacle se dévoile, le plateau se remplit d’un sang noir dans lequel les danseuses se débattent, luttent et jouent aussi. Entre Soulages et Malevitch, Julie Nioche offre un travail quasi parfait et d’ailleurs le public, passé les applaudissements plus que nourris, reste encore assis face aux interprètes et il flotte alors dans la salle un autre message : « encore » !
Chorégraphe, Julie Nioche? Oui sans doute, mais pas seulement. "Je construis des dispositifs chorégraphiques, des environnements dans lesquels il est impossible de se mouvoir, comme dans la vie quotidienne. Des espaces qui poussent à créer du mouvement à partir des sensations", aime-t-elle à dire. On croise depuis déjà quelques années son travail sans vouloir ou pouvoir le cerner : Julie Nioche n’est pas une. Elle est multiple. Elle peut convoquer 50 ou 200 personnes pour ses Sysiphe, ou mettre en scène avec sa complice Virginie Mira des poids de pesée (Nos Solitudes) pour donner à voir une danse sans gravité.
Le projet de Julie Nioche redéploie la nudité en danse. La lecture biopolitique des corps, comme la déconstruction de la représentation spectaculaire, au jour esthétique de l’art-performance, ont conduit à percevoir les corps nus sur scène comme habillés d’une autre manière (....). Le corps dépouillé de son constume dans Matter revient à une condensation d’intensité charnelle. Le voici délié de l’image vestimentaire, laquelle est porteuse "de rôles qui nous amusent, nous dépassent, nous étouffent" et participent activement à sa construction.
Les Rencontres chorégraphiques sont l’occasion de retrouvailles avec des artistes à la singularité reconnue comme Julie Nioche qui présente Matter à Montreuil. Matter constitue une tentative de mise à nue de la danse par ses interprètes même (...). L’espace, témoin désormais de leurs évolutions, garde encore trace des signes ébauchés, tel le brouillon noirci d’un texte effacé, tandis qu’elles retournent à l’immobilité première, d’où peut renaître ou pas le mouvement.